« Questions de campagne ». Pour nombre d’habitants des quartiers populaires, les idées d’extrême droite ont déjà gagné. Ils citent les discriminations, les insultes racistes, les discours envers les musulmans… Malgré la crainte du résultat des législatives, ils n’iront pas forcément voter.

Résignation, fatalisme, lassitude. Avant tout autre sentiment. Avant la colère. Avant la peur. Avant l’envie d’en découdre dans les urnes les 30 juin et 7 juillet lors des élections législatives anticipées. Du moins pour l’instant. Dans les quartiers populaires, les résultats des élections européennes plaçant le candidat du Rassemblement national en tête n’ont pas surpris. L’annonce de la dissolution davantage, mais pas au point de créer de mouvement de panique ou de forte mobilisation.

« Les jeux sont faits ! » C’est ainsi que Coumba Coulibaly résume la situation politique du pays. « C’était écrit, c’est fini, l’extrême droite au pouvoir, ce n’était qu’une question de temps », lance la jeune femme de 36 ans depuis le stand de churros qu’elle tient avec sa sœur aînée au stade Henri-Barbusse, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), mercredi 12 juin, soir du lancement de la Coupe nationale des quartiers 2024, ex-Coupe d’Afrique des nations des quartiers, le tournoi de foot le plus populaire des banlieues qui oppose des équipes en fonction du pays d’origine des joueurs. Célébration joyeuse et bon enfant de la diversité et du vivre-ensemble pour les uns, symbole de l’échec de l’intégration et du repli identitaire pour les autres. « Qu’est-ce qu’ils vont nous faire de plus que ce qu’on nous fait déjà, fait-elle mine d’interroger, l’œil bravache. Ils ne vont pas pouvoir tous nous mettre dehors en quelques années, alors quoi ? »

Pour nombre d’habitants des quartiers populaires, l’idéologie d’extrême droite a déjà gagné la partie depuis un moment. Les élections européennes ne font qu’entériner une réalité qu’ils disent subir au quotidien. Ils citent les discriminations, les insultes racistes, l’enclavement, les discours des pouvoirs publics envers les musulmans, les discours politiques sur les quartiers et leur jeunesse dite « délinquante », la loi sur l’immigration, les chaînes d’information en continu… « Cela fait un moment maintenant que les partis, que ce soit Les Républicains ou Macron, surfent sur leurs thèmes : l’immigration, l’islam, la laïcité…, analyse Diatta Marna, 36 ans, chasseur de têtes pour un cabinet de recrutement européen et sélectionneur de l’équipe de Guinée de la CAN [Coupe d’Afrique des nations] des quartiers. Alors oui, l’extrême droite va arriver au pouvoir, c’est inéluctable, je suis résigné. »

« Je finis par ne plus me sentir française »

En mai, Coumba Coulibaly a été traitée de « sale Noire » dans le métro. Quelques semaines plus tôt, c’est l’une de ses collègues qui a été injuriée : « Sale Nègre. » « Ce sont des mots qu’on n’avait pas entendus depuis des décennies, des mots qu’on n’avait pas le droit de dire pendant des décennies, des mots qu’on entend à nouveau », commente la jeune femme, en évoquant la possibilité de quitter la France pour le pays d’origine de ses parents, le Mali.

Coumba Coulibaly a un boulot à la RATP, pas d’enfant, des neveux et nièces à la pelle qui gravitent, hilares, autour d’elle, une mère femme de chambre et un père ancien employé dans un pressing, qui s’est rendu aux meetings politiques de la gauche toute sa vie, alors même qu’il n’a jamais eu le droit de voter. Les parents de Coumba Coulibaly n’ont pas la nationalité française. « Toute mon enfance, j’ai vu mon père prendre des cars pour se rendre aux rassemblements des candidats du Parti socialiste, puis, en 2017, pour aller voir Macron, raconte-t-elle. C’était important pour lui de s’impliquer, de montrer qu’il était là, alors, en 2017, pour lui, je suis allée voter pour la première fois. » Depuis, elle n’a jamais manqué un rendez-vous électoral, fidèle à La France insoumise, et pousse à chaque fois ses frères et sœurs à se rendre aux urnes. Comme le 9 juin.

« Je suis née ici, je suis française, mais à force de me faire comprendre que je ne suis pas vraiment française, que je suis noire avant tout, je finis par ne plus me sentir française. » Alors elle l’affirme, on ne l’y reprendra pas. « Ces élections législatives, c’est du foutage de gueule, Macron il ne s’en sort pas, il fait n’importe quoi, je n’irai pas voter, je n’ai pas peur, j’en ai marre », affirme-t-elle.

Le sentiment « d’être pris pour des cons »

Ce sentiment de lassitude, chacun le perçoit. Réservoir de voix pour la gauche, public repoussoir pour la droite, « les habitants des quartiers ont le sentiment d’être éternellement pris pour des cons, dit Demir Mehmet, un informaticien de 36 ans, arbitre lors de la CAN des quartiers, qui s’est déroulée jusqu’à dimanche 16 juin. On vient chercher leurs voix à chaque élection puis on les oublie, pire, on les trahit et le Rassemblement national [RN] profite de ce sentiment. Ce n’est pas l’extrême droite qui gagne, c’est l’abstention ». « La question de faire barrage à l’extrême droite ne passe plus auprès des jeunes des quartiers, affirme Ayoub Laaouaj, 24 ans, étudiant en droit, spectateur et bénévole à la CAN. Même s’il est évident qu’il y aura un impact pour nous si le RN arrive au pouvoir. »

Sur les réseaux sociaux pourtant, et auprès des associations, les témoignages affluent déjà : « Un policier qui m’a mal parlé m’a dit qu’il fallait que je m’y habitue dorénavant » ; « Un groupe de Blancs m’a dit que, bientôt, ils auront carte blanche pour nous casser la gueule » ; « Deux jeunes m’ont lancé que pour moi, la France, c’était fini »

L’extrême droite au pouvoir, c’est « le péril » dont la première génération leur a parlé toute leur vie. « Nous avons grandi avec cette peur du Front national [l’ancien nom du Rassemblement national], avec cette menace permanente et voilà qu’elle se concrétise, alors même que nous sommes désormais nous-mêmes parents, commente Youcef Brakni, membre du comité Vérité et justice pour Adama, du nom d’Adama Traoré, jeune homme mort en 2016, dans le Val-d’Oise, à la suite d’une interpellation par des gendarmes. Alors bien sûr qu’il y a malgré tout une peur ! »

Pour leurs parents en premier lieu justement, dont beaucoup n’ont jamais obtenu la nationalité française. « C’est vrai, c’est ce qui pourrait me faire hésiter », consent Coumba Coulibaly, qui cite l’une des « stories » de l’actrice et entrepreneuse Fatou Guinea sur le réseau social Instagram dans laquelle elle évoque le sort qui pourrait être réservé à leurs aînés : « Je ne peux pas lâcher, martèle la jeune femme de 28 ans à ses 873 000 abonnés. C’est pas notre France ça, faut aller voter. » Charlène P., étudiante en gestion et management, se dit « choquée » par l’ambiance actuelle, même si elle n’y entend pas grand-chose à la politique. « TikTok et Snapchat me disent d’aller voter le 30 juin », explique-t-elle. Alors elle ira.

  • Ethalis@jlai.lu
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    5 months ago

    En tant qu’enfant d’immigré ça me brise le coeur de lire ça. On vit vraiment une triste époque.

    • Klaq@jlai.lu
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      5 months ago

      En tant que petit enfant d’immigrés ayant grandi en cité jme dis que y’a rien à plaindre : si on s’occupe pas de notre sort personne d’autre le fera, ou en mal, c’est d’ailleurs ce qui se passe. Et ce qui s’est toujours passé.

      C’est une blague la dimension sacrificielle de nos parents pour construire de l’inaction au présent, du misérabilisme entretenu par la gauche institutionnelle pour s’approprier les classes populaires. Nos vieux ont traversé l’Europe et ses montagnes, des guerres, la Méditerranée et on se dit résigner parce qu’il faut pointer jusqu’à l’école du coin pour voter, mdr. On a gagné le droit d’être traités en égaux, pas de jouir d’une considération particulière.